
Tassadit Yacine
Biobibliographie
Connaître son parcours
Tassadit Yacine-Titouh est née le 14 novembre 1949 à Metchik dans la région de Béjaia, en Algérie. Elle est issue d’une famille qui a connu une grande répression pendant la guerre d’Algérie dans laquelle son propre père fut exécuté pour l’exemple, en 1956. Il est l’un des premiers à tomber sur le champ d’honneur.
Elle a effectué ses études primaires, secondaires et supérieures en Algérie, à l’Université d’Alger où elle a également enseigné la langue et les civilisations ibériques (de 1976-1980) avant de partir pour la France en 1981. Elle va y poursuivre des études dans le cadre d’une thèse dont l’intitulé porte sur les Productions culturelles et agents de production en kabylie : anthropologie de la culture dans les groupes kabyles 16e-20e siècle » , soutenue en 1992 , en-Sorbonne sous la direction de Mohammed Arkoun avec la collaboration de Pierre Bourdieu.
Elle est d’abord élue maître de conférences (en 1993) puis directrice d’études (en 2006) à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et membre du département d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle a dirigé en parallèle à ses recherches Awal (“La Parole”), revue fondée en 1985, à Paris, par l’anthropologue algérien Mouloud Mammeri et le sociologue Pierre Bourdieu, à la Fondation Maison des sciences de l’homme, Paris, grâce au soutien de Clemens Heller.
Elle a dirigé plusieurs séminaires depuis 1987 dont un séminaire sur les productions culturelles et agents de production
Un séminaire depuis 2006
Anthropologie de la domination dans les sociétés berbères : discours , pratiques et représentations
Professeur invitée / Berkeley,
Professeur associée à Naples durant plusieurs années
Invitée dans différences universités , Montréal, Université de New Orléans, Tulane, Bâton Rouge, New York, MIT, Oregon, Princeton, Lafayette, Boston, Barcelone, Granada, Cadix, université de la Laguna, Colegio Mayor de Mexico, Museo nacional Rio de Janeiro, Sao Paulo etc.
Invitée dans différentes universités marocaines, Rabat, Fès, Oujda, El Jadida, Meknès, etc.
Membre du conseil scientifique au CRASC , Oran, Algérie
Membre du conseil scientifique, Bédjaia Algérie
Echange de programme avec l’université de Tizi-Ouzou, d’Agadir, d’Oujda etc..
Tassadit Yacine a fait soutenir près d’une vingtaine de thèses et a participé à de nombreux jurys.
Connaître ses recherches
Elle a beaucoup publié sur l’anthropologie du monde berbère, dans une période politique très difficile, car les autorités algériennes étaient résolument hostiles à sa reconnaissance. Pour rendre visible l’existence de ces groupes minorés en Afrique du Nord et en Algérie surtout, elle a dû croiser discours officiels et discours populaires, pratiques savantes et pratiques orales, comme elle a également recueilli des corpus élaborés par les hommes et d’autres par les femmes.masculins y compris dans des groupes ayant subi une pluralité de dominations (linguistique, culturelle, politique) non sans contradictions internes. . La domination coloniale a été décisive dans le destin de l’Algérie et des sociétés berbères .
Son expérience acquise dans différents terrains (Algérie, Maroc, Tunisie, Canaries, France), ses contacts avec de grands spécialistes du monde scientifique (Pierre Bourdieu, Mouloud Mammeri, Mohammed Arkoun, Françoise Héritier, Sherry Ortner, Paul Rabinow) lui ont permis de comprendre que l’expérience « locale » ouvre nécessairement sur d’autres façons de voir et de pratiquer l’anthropologie. Le monde berbère a beaucoup à donner au monde grâce à ses cultures ancestrales peu connues et a, également à recevoir, à titre de comparaison, des cultures de la Méditerranée et de l’Afrique et de l’avancée des recherches occidentales. Trois moments caractérisent cet itinéraire atypique et très intéressant parce qu’il illustre un parcours de femme dans des conjonctures politiques difficiles.
Au début était l’oral…
C’est par la langue berbère, sa musique, sa poésie (Qasi Udifellah, héraut des At Sidi Braham), ses chants (Ait Menguellat Chante, Chérif Kheddam ou l’amour de l’art, Jean Amrouche, chants berbères de Kabylie ) et ses rituels millénaires, qu’elle a fait son entrée dans l’univers de l’investigation scientifique .
Pour cette travailleuse de la culture, la recherche, comme pour beaucoup d’intellectuels du Tiers-Monde, est à la fois quête du savoir scientifique, quête d’un sens philosophique mais aussi reconquête d’un espace d’expression pour nombre de populations dominées ayant pâti du système colonial et des systèmes nationaux pour avoir reconstruit le pays sans tenir compte des réalités vécues de leurs citoyens. Les peuples anciens sont souvent devenus des cibles privilégiées pour les groupes dominants car leur langue et leurs cultures sont considérées comme archaïques.
Au milieu de ce parcours : la perception d’un choc entre populaire et savant
Les matériaux de culture orale sont recueillis transcrits et analysés pour rendre visible cette langue mais et surtout pour montrer la richesse qu’ils recèlent. A partir de cette réalité, Tassadit Yacine a su croiser les pratiques orales avec les autres formes de productions y compris écrites en les recontextualisant et en tenant compte des trajectoires de leurs agents aussi bien dans les pays concernés qu’en Europe. Les Kabyles ont dû se mettre à l’apprentissage du français à partir de la fin du XIXe siècle (Boulifa, Amrouche, Féraoun, Mammeri). Ils ont en réalité opéré un cumul entre savoir ancestral et un savoir scripturaire acquis dans les écoles coloniales. Ce sont les premiers à avoir illustré une hybridation culturelle. Seules les femmes, interdites majoritairement d’école ont pu conserver une culture moins exposée aux influences de la « modernité » importée et imposée par la colonisation.
On comprendra dès lors la raison pour laquelle elle s’est beaucoup investie dans la compréhension des œuvres et des trajectoires des intellectuels d’Afrique du Nord (Feraoun, Mammeri, Amrouche, Kateb Yacine, Belamri, Kheir-Eddine etc) , ayant vécu le changement brutal de la période coloniale obligés qu’ils étaient d’apprendre la langue et la culture de l’autre au détriment de la leur.
Tassadit Yacine a édité seule ou en collaboration sur plusieurs de ces auteurs, comme on peut le voir dans les différents numéros d’AWAL consacrés à Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mohammed Kheir-Eddine, Mouloud Féraoun, Rabah Belamri, Jean Sénac, Jean Amrouche ou Pierre Bourdieu (deux numéros spéciaux de la revue AWAL lui ont été dédiés) et Germaine Tillion, Actes du colloque de 2015, publiés en 2018). Pierre Bourdieu et Germaine ont été deux grands chercheurs et témoins du chamboulement culturel de l’Algérie des années cinquante.
De nombreuses publications ont été consacrées à Jean Amrouche (Un Algérien s’adresse aux Français, en 1994, Journal, 2008, Le Retour de Jugurtha, 2012), ce grand intellectuel algérien engagé dans le combat pour l’indépendance tout en oeuvrant pour la reconnaissance des identités d’Afrique du Nord.
Mouloud Mammeri poursuivra ce combat après l’indépendance de l’Algérie (Avec Mouloud Mammeri, 2018) et associera la jeune chercheuse à ses investigations sur le monde berbère. Un livre majeur illustre cette quête d’indépendance politique et culturelle des intellectuels colonisés parait, sous la plume de Tassadit Yacine, aux Editions La Découverte, en 2001, Chacal ou la Ruse des dominés, ou le malaise des intellectuels algériens.
Dans sa tentative d’explorer en profondeur les mécanismes de domination en période coloniale, Tassadit Yacine s’est fixé pour objectif d’explorer les œuvres et les trajectoires de ceux qui ont consacré à ce pays des recherches pendant la guerre d’Algérie, à l’instar de Pierre Bourdieu. Elle a été la première à montrer la place importante que l’Algérie a occupé dans le grand œuvre du sociologue ( Esquisses Algériennes, 2008) ou alors les différents numéros d’Awal qui lui ont été consacrés (1998 et 2003) et Pierre Bourdieu en Algérie (1956-1962), Témoignages, 2022. Elle a collaboré à plusieurs travaux collectifs (Travailler avec Bourdieu, Pierre Bourdieu sociologue, Pierre Bourdieu, Dictionnaire international, Le social et le symbolique etc).
A la fin de ce parcours : l’intérêt pour le corps et les affects
Le troisième et grand axe dans l’œuvre de Tassadit Yacine est consacré au genre. La culture ancestrale berbère est principalement le fait des femmes qui ont été les gardiennes de la cité et de la mémoire millénaire. Elles ont joué un rôle considérable dans la reconquête du pays à différents moments de l’histoire de l’Afrique du Nord et tout particulièrement pendant la guerre de libération nationale (Ourida, féministe et porteuse de valise, 2019). Ces fonctions nécessaires à la transmission littéraire, à la perpétuation des valeurs culturelles du groupe ne sont reconnues ni au niveau politique global ni au niveau des groupes. L’économie patriarcale exclut de fait et de droit le rôle des femmes et leur apport à la société.
C’est auprès des détentrices de la culture orale, qu’elle ira recueillir leur parole et surtout les différents modes d’expression de leurs sentiments. L’histoire affective du groupe a été « releguée » par les membres dominants (les hommes) aux femmes.
Ses recherches sur les productions féminines, a constitué moyen de rendre visibles la situation des femmes, leurs savoirs et savoir- faire. Ces créations littéraires ne sont pas sans liens avec les affects, comme elle le décrit si bien le cadre de production dans L’izli ou l’amour chanté en kabyle, en 1988. Après son élection à l’EHESS, elle intègre le séminaire de Françoise Héritier au collègue de France portant sur « Corps et affects ».
Elle publiera toujours dans la même veine, Nouara, ou le combat d’une femme algérienne , en 1994, Si tu m’aimes, guéris-moi (2006) , Femmes berbères de part et d’autre de la Méditerranée, Domination, résistance et subjectivation, (2018), un numéro spécial consacré à la grande écrivaine berbère, Taos Amrouche, etc.
Ces derniers travaux situent la culture berbère dans un contexte méditerranéen plus large, tout en transcendant la distinction traditionnelle entre cultures orales et écrites ou Orient et Occident car la domination masculine est au cœur des modes de domination , elle montre bien , que la différence est mince : ce qui change ce sont des aspects extérieurs très conjoncturels et non la nature des relations entre hommes et femmes qui sont ici historiquement et socialement construites.
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